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#MadeInLocal - Qu’est-ce qu’une entreprise locale ?

Dans le cadre du projet d’étude Made In Local, nous avons élaboré une définition de l’économie locale, afin de permettre la sélection de notre échantillon de structures locales. Nous exposons ici les fruits de ce travail.

L’économie locale peut se définir par une proximité géographique entre le producteur et le lieu de vente, et met en avant l’importance de l’implantation des producteurs, des distributeurs et des consommateurs sur un territoire donné. Elle peut également se définir par une proximité dite « relationnelle » entre le producteur et le consommateur, qui se caractérise par une limitation du nombre d’intermédiaires. De plus, différentes valeurs peuvent venir s’ajouter à ce concept (inscrites dans les Circuits-Courts Economiques et Solidaires) : la recherche de lien social, d’équité dans les échanges, de coopération, et de transparence dans les termes de l’échange.

Afin de définir ce que nous entendons par « économie locale », nous nous sommes interrogés sur l’intérêt de ce concept : « qu’est-ce que l’économie locale tente de défendre, de mettre en avant ? » ou encore « quel est l’intérêt de la proximité ? »

L’économie locale : d’abord des échanges

Nous pensons que l’économie locale est une notion capitale aujourd’hui puisqu'elle contribue à créer du lien (plus ou moins proche et étroit) entre consommateur et producteur, et rapproche ainsi les décisionnaires de la production, les fournisseurs de biens et services à la société, des personnes qui les choisissent et les utilisent. Ces liens entre agents, ou stimuli, sont déterminants dans la création de phénomènes émergents (création de nouveaux phénomènes qui n’existaient pas au départ dans le système, et qui résultent des échanges entre agents). Ces phénomènes émergents créent les propriétés fondamentales des systèmes complexes, comme les systèmes économiques. Les producteurs ont un rôle décisif de création de matière, d’information et d’énergie : ils ont donc un puissant pouvoir de choix dans la construction de notre société. Le choix d’une production est une question éminemment politique, auquel la société civile n’a que peu son mot à dire. C’est pourquoi des échanges plus ou moins directs entre la société civile (en tant que consommateurs par exemple, mais pas uniquement) sont absolument nécessaires.

Nous employons bien ici le terme « échange », qui suppose une réciprocité, contrairement au « lien », qui ne définit pas le sens de la relation, et qui n’impose aucun retour. Ceci rejoint en fait le concept des boucles de rétroaction, qui sont à la base de la capacité d’adaptation des systèmes complexes, et donc de la pérennité des systèmes économiques. Il y a rétroaction lorsqu’un agent agit sur d’autres agents, et que les réactions de ces autres agents influencent son propre comportement. Cependant, afin qu’il y est rétroaction, il faut que les liens entre producteurs, distributeurs et consommateurs s’établissent sur une base horizontale, ce qui suppose une déconcentration du pouvoir décisionnaire.

Des relations horizontales

L’horizontalité dans les relations apparaît comme une notion centrale de l’économie locale : elle suppose une absence de pouvoir de négociation trop important entre acteurs, et s’exprime entre autres sous la forme d’une absence de pouvoir de marché pour les producteurs. Elle se distingue de l’horizontalité au sein d’une entreprise, qui se caractérise par une structure organisationnelle ayant peu ou aucun niveau de séparation entre les employés et l’exécutif. Bien que la question de l’horizontalité dans l’organisation interne des structures au sein de la société soit d’une grande importance politique, il ne nous semble pas judicieux d’inclure ce critère dans la définition de l’économie locale, et ce pour deux raisons :

- Nous considérons que les trois types d’acteurs (consommateurs, producteurs, distributeurs) au sein du système économique auto-organisé sont des entités autonomes du système, c’est-à-dire eux-mêmes auto-organisés, et qui possèdent des fonctions et des caractéristiques qui leurs sont propres au sein du système. L’organisation interne des producteurs relève ainsi d’une cohérence qui leur est spécifique.

- La prise en compte de ce critère reviendrait à exclure une grande partie des producteurs qui œuvre dans le sens d’une économie locale, mais qui sont empreints d’une construction historique promouvant la verticalité comme principe d’organisation, héritage culturelle du cartésianisme (pensée disjonctive qui sépare, isole, hiérarchise ≠ pensée conjonctive qui lie, relie, associe).

Une entreprise avec un fort pouvoir de marché, organisée de manière verticale ou non, n’aura plus la nécessité de devoir assumer des échanges constructifs avec ses consommateurs ou ses fournisseurs. Cependant ce modèle est voué à l’échec sur le long terme, puisqu’il baisse la capacité d’adaptation du système économique, et le rend ainsi plus instable. En effet, il augmente la dépendance à un nombre limité d’acteurs, et baisse ainsi la diversité des alternatives possibles. Il nous semble que ceci fait partie du cœur de l’économie locale : lutter contre l’effet sablier, et « l’empire des intermédiaires » dont parle Raphaël Souchier dans Made in local. Emplois, croissance, durabilité : et si la solution était locale ? (Eyrolles, 2013). L’économie locale cherche à remettre en question les entreprises qui possèdent un fort pouvoir de marché, et qui imposent leur modèle économique, et finalement leur modèle de société, sans qu’aucune discussion ne soit possible. Le projet et l’enjeu crucial de l’économie locale est ainsi éminemment politique. Elle cherche à installer de l’horizontalité dans les relations, pour que les choix ne soient pas opérés de façon unilatérale.

Des proximités géographiques nécessaires

L’économie locale instaure au final au sein du modèle économique un espace de débats et d’échanges pour que les décisions soient effectuées de manière plus participative. On comprend alors la nécessité d’une certaine proximité géographique entre producteur et consommateur, puisque ces deux acteurs doivent partager un environnement commun afin d’échanger sur les problématiques territoriales, dans le but de trouver des solutions collectivement qui satisfassent les différentes parties. L’implantation territoriale suppose également une proximité entre le producteur et les ressources qu’il mobilise, autant que possible.

« Pour réorganiser l’économie, il importe, comme le fait la biosphère, de commencer au niveau local en réorientant chaque territoire vers la capture locale de l’énergie et des ressources dont il a besoin » - Raphaël Souchier

Une proximité relationnelle de fait

Le nombre limité d’intermédiaires permet un rapprochement des réalités des producteurs et de la société civile, afin que l’information entre les deux agents puisse passer. Mais cette proximité relationnelle n’existe réellement que dans une perspective d’horizontalité des relations. En effet, une entreprise de distribution en oligopole (marché économique caractérisé par un faible nombre de vendeurs, et une multitude de consommateurs) peut contracter avec des petits producteurs locaux, mais le rapport de force est trop inégal pour que ces derniers puissent peser dans les décisions. Ainsi nous avons choisi de ne pas conserver le critère d’un nombre limité d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur, du fait que le principe nous semblant fondamental est bien l’horizontalité dans les relations. En effet, pourvu que les acteurs de la filière échangent de proche en proche sur un relatif pied d’égalité, il ne nous semble pas indispensable que les agents aux deux extrémités de cette filière soit en contact direct.

Il apparaît alors que les valeurs de lien social, d’équité, de coopération et de transparence (relatives aux Circuits-Courts Economiques et Solidaires) découlent en fait du principe d’horizontalité dans les échanges. Ce principe se présente comme le terreau fertile à l’apparition de ces valeurs : il rend possible et même favorise ces dernières.

Au final, une structure locale : c'est quoi ?

Nous avons ainsi choisi de définir l’économie locale comme un système complexe d’échanges de matière, d’énergie, et d’information entre les différents acteurs du circuit économique (producteur, distributeur, consommateur) implantés sur un territoire donné, et dont les relations entre eux sont marquées par le principe d’horizontalité, dans un objectif politique d’échanger sur les choix effectués au sein de ce système.

Le fait de parler de « système complexe » n’est pas anodin ici, puisqu’il renvoie aux caractéristiques de ce type de système, à savoir entre autres le fonctionnement du bas vers le haut (les acteurs de terrain sont à la base du fonctionnement de l’économie), la diversité considérée comme une richesse (puisqu'elle renforce la capacité d’adaptation du système économique), et la vision holistique. De plus, la référence à la pensée complexe induit de non pas définir un terme par ses limites, ses bornes (comme à tendance à le faire la pensée cartésienne, pour le séparer clairement du reste), mais bien de le définir par ce qui le caractérise en son cœur (et en ce qui concerne l'économie locale : l’implantation territoriale et le principe d’horizontalité dans les relations).

 

A partir de cette définition, afin de caractériser une structure locale, nous avons déterminé des critères. Pour être implantée sur un territoire, une structure locale :

- est localisée sur le territoire considéré

- a des propriétaires localisés sur le territoire considéré

- fournit des biens et services au territoire considéré

- utilise des ressources présentes sur le territoire considéré (travailleurs et fournisseurs)

De plus, afin de respecter l’horizontalité dans les échanges, une structure locale :

- ne doit pas avoir de pouvoir de marché trop important

- doit prêter attention à la qualité de ses relations partenariales

 

Le territoire local n’est pas défini par des limites géographiques strictes, tout comme les critères du localisme ne sont pas chiffrés, par choix, du fait que le concept de localisme doit être capable de s’adapter d’un acteur à un autre, d’un secteur à un autre, et d’un territoire à un autre, suivant le contexte.